Ceux d'entre vous qui ont eu la curiosité de lire les différents romans que j'ai écrits ont certainement remarqué que mes
personnages passent souvent de l'un à l'autre. Cela est le cas de Grant Munroë, un Ecossais, ancien sergent-chef du Special Air Service, joueur de rugby et patron du pub "The Black
Watch".
J'adore les pubs. Je les fréquente assidument chaque fois qu'il m'arrive de me retrouver sur un territoire où existe cette sympathique institution. Je l'ai fait à Londres bien
sûr, avec mentions spéciales pour "The Prince of Wales" dans Drury Lane, et pour The Anchor dont certains soutiennent que Shakespeare y serait allé. Je l'ai fait aussi dans le
Devon, en Cornouailles, en Ecosse à Perth et Aberdeen, dans les Iles Shetland, dans les Sorlingues et les Iles Anglo-Normandes.
J'en ai des souvenirs émus. Mon âge fait que je les connaissais à l'époque où les boissons alcoolisées en Grande Bretagne ne pouvaient être servies qu'à des heures précises pendant lesquelles on
levait une grille qui interdisait l'accès au comptoir de vente des alcools. Un peu avant onze heures du soir, chacun se précipitait pour acheter une dernière bière, et à l'heure fatidique la
grille tombait avec une bruit de métal bien huilé. Bien des Anglais qui sont nos contemporains n'ont pas connu cette héroïque époque. Je n'ai pas pu résister à l'envie de glisser un pub dans les
histoires que j'ai écrites.
A ce pub, il fallait un taulier, cela a été Grant Munroë.
Il apparaît dans "Les fleurs de l'automne". C'est dans son pub qu'il arbitre la rencontre entre le narrateur, Samuel, et un monsieur, mari d'une dame avec laquelle il a eu une
brève liaison, qui a décidé de le tuer. La rencontre selon les règles du Marquis de Queensbury, arbitrée par Munroë, se termine à l'avantage de Samuel, et Munroë prend les whiskies à son
compte.
Dans "Les herbes folles de l'été", Grant est une bonne relation de Saül, le narrateur, il apparaîtra à différents niveaux de l'action pour soutenir Saül et assistera à son mariage.
Son rôle deviendra plus important dans "Le Voyage d'hiver", car c'est lui qui donnera à Albert, septuagénaire qui vient de réaliser sa solitude dans la vie (et devant la mort) et lui
donnera l'idée d'engager une jeune demoiselle de compagnie et de voyager. Cela amènera la venue d'Agnès, vingt-trois ans, qui va se prendre pour Albert de l'affection d'une petite fille
pour son grand-père. Les péripéties de leur voyage les emmènera des bords de la Charente à Aix-en-Provence, puis à San Gimignano, à Albi, à Tolède.
Enfin, dans "Le jeu des assassins" Munroë devient un personnage à part entière. S'étant découvert avec Siméon, auteur de romans policiers, des affinités philosophiques, il va mettre son
expérience de tireur d'élite au service du commissaire en charge de l'enquête, la belle Eliza Sonnelier.
L'image en tête de cet article est l'idée que je me fais de Grant Munroë. C'est celle d'un soldat du Special Air Service dans l'uniforme qu'ils portaient en Afrique du Nord dans les années
1940.
Mais pourquoi, me direz-vous, mon attachement à ce personnage ? C'est qu'à travers lui je rends hommage à un Ecossais qui m'a témoigné beaucoup d'affection et de considérations, mon
oncle Bob, Robert Lambie Cargill, l'époux de la plus jeune soeur de mon père. Dans sa jeunesse il fut cavalier du 9ème Lanciers dédié à la Reine Adélaïde. Quelque pécadille l'emmena
jusqu'au Maroc et la Légion Etrangère. La guerre 1939-1945 le vit participer aux campagnes d'Italie et d'Autriche avec les unités blindées de l'Armée Britannique. Après le
conflit il travailla pour une société construisant des aérodromes stratégiques avant de devenir à Paris le factotum du Baron Edmond de Rotschild, dans une des sociétés dirigées par
celui-ci. Un cancer l'a enlevé à l'affection des siens dans les années 1970. Je crains que ses petits enfants aient tendance à l'oublier et n'aient même pas une photographie de lui.
Alors je lui dis : "Bob, knowing you was a pleasure and a honour .