Parmi mes nombreux défauts, il ne faut pas oublier un des principaux : j'aime l'opéra.
Parmi ceux qui me connaissent ou qui ont lu "Le Voyage d'Hiver", nul n'ignore que j'ai un faible pour l'élégance raffinnée à
dimension humaine du château de Panloy. J'y ai d'ailleurs situé une scène importante du roman, celle où la jeune Agnès décide que ses rapports avec Albert (70 ans) qui l'a recrutée
comme demoiselle de compagnie seront ceux d'une petite fille avec son grand-père.
Dans ce même roman, il y a aussi une scène d'opéra, mais qui ne se déroule pas à Panloy (ce sera dans un autre roman) mais au
festival d'Aix-en-Provence. C'est la première fois que la jeune femme va à une telle représentation. Albert, qu'elle appelle Monty, lorsqu'ils atteignent leurs sièges, lui décrit comme suit
l'ambiance :
- Vous m'avez dit que c'était la première fois que vous assistiez à une représentation d'opéra. Cela mérite un petit
liminaire. L'opéra est un des raffinements les plus subtils que puisse offrir la civilisation occidentale. Songez à tout ce qu'il faut pour aboutir à un spectacle comme celui auquel nous allons
assister. Des compositeurs géniaux, Rameau, Mozart, Gluck, Vivaldi, Bizet, Richard Strauss, Britten. Des librettistes jonglant avec la langue : Da Ponte, Hugo von Hofmannshal. Des orchestres
prestigieux, de grands chefs, des metteurs en scène, des décorateurs, des machinistes. Et par dessus tout , des voix, des graves, des aiguës, des choeurs. Des répétitions interminables, du
travail quotidien, des caprices de diva alliés à l'austérité de la préparation d'un coureur de Marathon. Et tout cela, ces jours, ces mois, ces années d'efforts concentrés pour nous ce soir afin
de nous donner trois heures de rêve dans un ailleurs absolu. Spectacle d'autant plus précieux qu'il est ephémère, que la linéarité du temps fait qu'à peine la première note jouée, il va se
dérouler irrévocablement jusqu'à sn terme sans possibilité de revenir en arrière, sans pouvoir être rejoué à l'identique.
- Je comprends bien, Monty, mais le disque, mais le film ?
-Bien sûr, ils sont précieux. C'est grâce à eux que nous pouvons dans l'intimité de notre chez nous réécouter et revoir Kiri
Te Kanawa. Cependant le chant est vivant, une interprétation par la même cantatrice n'est jamais tout à fait la même ni tout à fait une autre. Adalina Mercandez va ce soir nous éblouir dans le
rôle de Dorabella, mais si demain elle nous rechantait tel ou tel de ses Aria, il ne serait pas tout à fait le même car la voix est l'instrument le plus extraordinaire, mais aussi le plus
délicat.
- Je comprends bien, mais pourquoi sommes-nous ici ce soir, si ce n'est pas totalement par goût de l'opéra ?
Je me tus pendant quelques instants :
- Voyez-vous, Agnès, si notre civilisation aime tant l'opéra - les grandes cantatrices et les grands chanteurs sont entourés d'une adoration quasi religieuse - c'est qu'à l'opéra le spectacle
n'est pas seulement sur la scène. La salle et ses abords jouent un rôle essentiel : une société s'y donne en spectacle à elle même, que l'on y vienne en habit ou en robe de soirée comme jadis, en
tenue un peu recherchée comme vous et moi, et même...
Je lui désignait un monsieur ventru et barbu à la tête de chanteur grec qui était vêtu d'une sorte de fouquia largement échancrée sur une poitrine velue où une grosse médaille en or scintillait
entre deux touffes de poils. Plus loin, un autre à la mine austère portait une veste de skipper rouge en tissus imperméable. Quelques dames, vêtues commes des pauvresses, mais parées de diamants
et d'émeraudes.
- Il faut faire son entrée, faire la bise à ses connaissances, être vu au buffet savourant le champagne ou le perrier.
- J'ai bien compris, me dit ma jeune amie, il faut être le spectacle dans le spectacle, et le comble du raffinement, c'est bien sûr d'arriver au bras d'une belle créature, totalement
inconnue, élégante comme une déesse, souriante, distante et mystérieuse.
- Vous avez tout compris.
Naturellement la représentation à Panloy n'aura pas le faste des grands festivals internationaux, mais
l'ambiance et l'élégance y seront. Don Pasquale, de Donizetti, est un opéra bouffe en 2 actes qui raconte les avatars d'un vieux célibataire cédant aux charmes de la belle Norina et du
mariage.
Il sera joué par la troupe de la Comagnie d'opéra de Westminster sous la direction artistique de Guy Hopkins les 4 et 5 août prochains à 20 heures 30. Cela sera d'autant plus intéressant que
cette compagnie qui se consacre à de jeunes artistes a choisi Panloy comme lieu de charme et de dépaysement.
Le châtelain, Monsieur de Grailly, attire l'attention de tous sur le fait que pour parfaire l'ambiance britannique nous pourrons apporter nos paniers pour dîner sur l'herbe à partir de 19 heures,
ainsi que cela se fait, somptueusement à Glyndbourne et plus modestement dans le parc de Hampstead.
La réservation se fait par téléphone au 05 46 91 73 23 (billets à 25 €).
Avec un peu de chance, nous pourrons essayer de nous y rencontrer le 4. Le 5, mon épouse et moi assureons le coucher de nos petits enfants pendants que notre fils et son épouse seront au
spectacle.
Très amicalement à tous,
D.M. benoliel